Carnet de route
La Grande Traversée des Alpes via le GR5
Le 01/12/2019 par François LEVY
Du mardi 10 septembre au samedi 5 octobre 2019 : De Thonon-Les-Bains à Menton.
Lundi 9 Septembre 2019 : Ça y est ! C’est parti, le sac est bouclé. J’ai tout vérifié et revérifié : je ne devrais rien avoir oublié et j’espère que rien ne sera superflu. Chaque gramme compte. Je pars en solo et en autonomie et il me faut une tente, le matériel de couchage et de cuisine en plus des affaires habituelles de randonnée. Sans l’eau ni les vivres, mon sac pèse environ 8,5 kilos + 1 à 2 kilos d’eau + 1 à 3 kilos de nourriture. J’aurais donc entre 10,5 et 13.5 kilos sur le dos.
Commençons modeste : Chalons-Paris par le TER, puis traversée à pied de Paris Gare de L’Est à la Gare de Lyon avec un petit passage sur la Coulée Verte, histoire de grimper quelques marches... Pour l’instant, tout va bien ! Puis TGV jusqu’à THONON LES BAINS qui sera mon point de départ pour cette GTA.
Mardi 10 septembre – THONON LES BAINS /MONT BARON
Première journée de marche. Départ vers 8.30 de Thonon. Drôle d’impression en pensant que ce n’est que le premier jour d’une longue succession sur environ un mois où chaque matin, je vais m’ébrouer sur un long chemin qui doit me mener jusqu’à la mer méditerranée. Soleil timide et un peu de vent. En choisissant de partir depuis Thonon au lieu de Saint Gingolph, ville habituelle de départ, je rajoute une journée de marche pour rejoindre l’itinéraire normal du GR5. Je traverse les faubourgs de Thonon, puis je suis un itinéraire tortueux qui traverse de multiples vallées perpendiculaires au lac sur le GR « Balcon du Léman ». Ça n’arrêtait pas de monter puis de redescendre pour passer d’une vallée à l’autre. En fin de journée seulement j’ai pu avoir des vues sur le lac Léman. Avec plus de 3 kg de nourritures, mon sac est à son poids le plus élevé. Avec l’eau, je suis à environ 13 kg, et c’est beaucoup pour un démarrage. Je cherche la meilleure combinaison pour régler les bretelles du sac et trouver le meilleur confort de portage. En fin d’après-midi après une longue montée dans les alpages, je trouve un bon emplacement pour mon premier bivouac sous le Mont Baron, à 1530 m d’altitude. Belle vue sur le lac. Environ 9 h de marche, 29 km et 1550 m de D+. Pas mal pour ce premier jour.
Mercredi 11 septembre – MONT BARON/ LA CHAPELLE D’ABONDANCE
2 -ème journée : départ vers 8h00 après petit déjeuner et remballage de tout le matériel et c’est long ! Température correcte à 9 degrès sous la tente, pas trop de rosée. Je continue à suivre le GR du Balcon du Léman. Succession de cols : Col des Bœufs, Tête de Fieux, col de la Casse d’Oche, sous la Dent d’Oche. Je ne croise pas de point d’eau et finis par pomper un peu d’eau à l’aide de mon petit filtre Sawyer dans le lac de la Case, presqu’à sec. Je rejoins enfin le GR5 classique au Col de Bise à 1915m. Première longue descente de cette GTA jusqu’au Chalet-refuge de Bise où je peux enfin boire abondamment et refaire le plein d’eau à la fontaine. Je pique-nique un peu plus loin avant d’entamer la raide montée vers le Pas de la Bosse. Je ne suis pas dans une grande forme, le sac pèse lourd et me scie les épaules. Je ne suis pas bien rapide dans cette montée que je me force à faire cependant le plus régulièrement possible en évitant de m’arrêter. Au col, une longue descente de 800 m doit me mener jusqu’à La Chapelle d’Abondance. Concentré sur le chemin, je profite peu des paysages pourtant très beaux. Les troupeaux de belles et grasses vaches résonnent des grosses sonnailles que porte au cou chacune de ces damoiselles. J’arrive à La Chapelle d’Abondance vers 15H30 et je suis fatigué. Je savais que le deuxième jour de marche serait le plus délicat avant de prendre un rythme de marche régulier au long cours. En plus il fait chaud et lourd. Je décide donc de m’octroyer une après-midi et une bonne nuit de récupération et je pose mon sac dans un bel hôtel, Les Cornettes, avec un restaurant au menu appétissant. Je profite même de la piscine pour détendre mes muscles et mon dos. Environ 7h00 de marche pour 20km et 1100 m de D+ et 1600 m de D- .
Jeudi 12 septembre – LA CHAPELLE D’ABONDANCE/ COL DE COUX
3 -ème journée : J’ai très bien dormi et profite d’un superbe petit déjeuner gargantuesque. Il fait grand beau, je suis en pleine forme et le petit coup de mou de la veille n’est plus qu’un souvenir. Montée jusqu’au Col de Bassachaux via le col des Mattes à 1918 m par un très beau chemin forestier. Je croise un cueilleur de champignons qui cherche des « éperviers (sarcodon imbricatus) » une espèce de bolet avec d’étranges reliefs sur le chapeau. Il les sèche puis les réduit en poudre pour devenir un condiment dans la fondue. Je croise de nombreux points d’eau qui m’évitent de surcharger mon sac : je me contente de remplir régulièrement ma petite bouteille de 75 cl. Après Bassachaux je longe tout le domaine skiable de Chatel et Avoriaz, bien défiguré par la multiplication des pylônes et des pistes de ski. Je rejoins le col de Chesery à la frontière suisse. Petit passage en suisse au-dessus de Champéry jusqu’au col de Coux pour retour en France. 10h15 de marche, 31 km, 1950 de D+. Pleine forme !
Deux autres randonneurs individuels ont déjà planté leurs tentes devant la baraque des douanes. Je m’installe également et nous passons une soirée agréable à discuter. Les deux sont partis de St Gingolph pour tenter la GTA : Christophe, Moniteur de ski à Verbier, inquiet pour la suite car souffrant des tendons d’Achille (il abandonnera le lendemain à Samoëns) et Scott, jeune haut savoyard, parapentiste, qui doit être rejoint par son amie pour continuer le voyage en profitant de son parapente pour descendre les cols. La soirée se termine sur un splendide coucher de soleil.
Vendredi 13 septembre – COL DE COUX/COLLET D’ANTERNE
4 -ème journée. Depuis le col de Coux, longue descente vers le refuge de Chardonniere puis montée vers le col de La Golèse. Large chemin un peu trop fréquenté par des quads bruyants. Je tire à gauche pour une petite variante plus calme par le refuge de Bostan avant de redescendre jusqu’à Samoëns. Petite toilette et lessive dans un abreuvoir. J’inaugure la « toilette mérinos »…que je décrirais plus tard. J’arrive à Samoëns vers 12h30. Cette station de ski, pourtant importante est déjà désertée et en conséquence la plupart des boutiques sont fermées. Le serveur du bistrot où je déguste un excellent sandwich suivi d’une tarte aux myrtilles accepte gentiment de me céder un morceau de baguette de pain pour la suite. Le GR longe ensuite la rivière Giffre vers Sixt-Fer-à-Cheval. Passage désagréable par les Gorges de Tines avec montées et descentes sur des échelles métalliques. Beau moment devant l’impressionnante et très touristique cascade du Rouget. Après le parking du Lignon, le chemin s’engage dans une forêt assez dense. Il est 18h00 et j’ai déjà plus de 10 heures de marche au compteur. Je grimpe encore de 400 m avant de finir par trouver le seul endroit à peu près plat où planter ma tente. 36 km parcourus, 1800 m de descente et 1600 m de montée, j’en avais un peu assez.... Le temps est toujours idéal et les nuits sont chaudes sans rosée du matin.
Samedi 14 septembre – COLLET D’ANTERNE/ CHAMONIX
5 -ème jour : Plutôt bien dormi dans mon mini bivouac. Petit déjeuner luxueux face aux falaises des Fiz qui s’ensoleillent. Je vais déposer le brevet de mon muesli maison agrémenté de mes fruits déshydratés...La journée commence de suite par une bonne grimpette pour arriver vers les superbes plats d’Anterne qui m’offrent ma première vision sur le Mont Blanc ! Petite toilette intégrale dans une large rivière avant le refuge d’Anterne Alfred Willis, puis jolie montée au col d’Anterne à 2257m, suivie d’une longue descente jusqu’au pont d’Arlevé à 1597m en passant par le refuge de Moëde Anterne où je fais le plein d’eau. Pique-nique près du pont en compagnie d’un suisse, également en marche vers Menton, mais bien handicapé par des genoux douloureux. Les ponts, c’est toujours en bas, donc, ensuite, il faut grimper les 800 m jusqu’au Col du Brévent. Le soleil tape et il fait chaud. Depuis le col du Brévent à 2368m, la vue est fabuleuse sur le Mont Blanc et toutes les aiguilles de Chamonix, juste en face. Nous sommes samedi, il fait un temps superbe et l’arrivée au col me fait rejoindre la civilisation et ses masses un peu bruyantes, parfumées à la crème solaire. J’ai pour projet de descendre jusqu’à Chamonix pour y trouver un petit hôtel, prendre une bonne douche et faire quelques courses. Je descends jusqu’à Planpraz en visionnant les couloirs bien raides que nous avions skié en mars 2017, Arthur et moi, dans des neiges bien pourries, sous la conduite d’un guide un peu trompe-la-mort. Je triche au 1 er tiers de la descente bien pénible en chopant une télécabine jusqu’à Chamonix. Désillusion en arrivant dans la capitale mondiale de l’alpinisme : tous les hôtels sont complets ! Les hôtesses de l’office de tourisme n’ont jamais vu ça ! La météo estivale combinée à plusieurs compétitions sportives a déplacé les foules, principalement britanniques. Sans doute viennent-ils en profiter avant que le Brexit leur rende ce genre de séjour bien plus onéreux…
Je finis par me rabattre sur un petit camping (Les Arolles) pas trop loin du centre-ville. J’aurais au moins une douche et un évier pour faire ma lessive. Mais ma tente n’est séparée de la route nationale qui contourne Chamonix que par les quelques centimètres d’une fragile haie. La nuit sera nettement plus bruyante que la précédente ! Encore 27 km sur mon chemin et plus de 1800 m de D+.
Dimanche 15 septembre – CHAMONIX/ LES CONTAMINES-MONTJOIE
6 -ème journée : La circulation m’a réveillé de bonne heure et j’attends juste le lever du jour pour plier ma tente et quitter ces lieux surpeuplés. Début de matinée peu plaisante en longeant la route jusqu’aux HOUCHES où je profite d’une supérette pour faire quelques courses, y compris des fruits frais, lourds mais bienvenus pour agrémenter un peu mon régime. Aux Houches je rejoins le GR5 pour une montée assez raide vers le col de Voza où l’on croise le petit tramway du Mont-Blanc qui monte de St-Gervais jusqu’au Nid d’Aigle, départ des candidats à l’assaut du Mont-Blanc par la voie normale. Il fait bien chaud et je fais un long arrêt pour pique-niquer à l’ombre d’un chalet d’alpage.
Les panoramas sont impressionnants sur tout le massif du Mont-Blanc, le glacier et l’aiguille du Bionnassay.
Le GR traverse ensuite de très beaux hameaux, Bionnassay, Champel, avec de superbes chalets et des vues dignes des plus beaux emballages de boites de chocolats suisses !
En milieu d’après-midi, j’arrive aux Contamines-Montjoie où je trouve un joli hôtel, « le gai soleil » pour une nuit réparatrice et un bon diner.
Lundi 16 septembre – LES CONTAMINES-MONTJOIE/ LE TREICOL
7eme jour. Je quitte l’hôtel vers 8h00. Le temps est toujours superbe. Le chemin débute par une longue partie plate, le long de la rivière jusqu’à la très jolie chapelle de Notre Dame de la Gorge.
Puis ça monte de 1050 m jusqu’au col du Bonhomme à 2329 m, puis celui de la Croix du Bonhomme à 2479 m. Beaucoup de monde sur ce chemin, de toutes nationalités, surtout des britanniques et des asiatiques. Depuis le Col du Brévent, le GR5 suit le tracé du fameux TMB, le Tour du Mont Blanc, qui attire des randonneurs du monde entier. Certains sont chargés comme des baudets, d’autres sont chaussés comme s’ils allaient à la plage…C’est généralement leur 2eme ou 3eme jour de marche et je ne suis pas certain que tous fassent le tour complet quand je les vois peiner dans cette montée. Personnellement, j’avance vite et bien, régulièrement et sans essoufflement et j’arrive au col de la Croix du Bonhomme avec 1 heure et quart d’avance sur l’horaire annoncé. Les panoramas sont toujours superbes. Au col du Bonhomme, dernières vues grandioses sur le Mont-Blanc. Je fais un échange de bons procédés portraitistes avec un jeune randonneur, face au toit de l’Europe. Je pique-nique au refuge en compagnie d’une jeune iranienne qui veut elle aussi faire le TMB et qui est frigorifiée, malgré le temps plutôt clément.
A partir du refuge, la GTA et le TMB divergent, pour mon plus grand plaisir. Je me retrouve seul dans la montée vers la crête des Gittes et c’est tant mieux car ce passage aérien est magnifique ! Je surplombe le massif du Beaufortain, sauvage. La crête grimpe jusqu’à 2525 m puis redescend au col de la Sauce. La descente continue jusqu’au plan de la Lai où on croise la route D925 qui va de Beaufort à Bourg-St-Maurice. Les troupeaux de vaches sont nombreux et les sonnailles résonnent. Il y a plusieurs refuges et gites au Plan de la Lai et j’avais prévu de m’y arrêter, mais comme il est encore tôt, je préfère continuer. Le GR5 monte vers un sentier-balcon qui surplombe le lac de Roselend. Ce sont des parages que j’ai déjà sillonné en été comme en hiver, mais sans jamais m’en lasser. Tout à coup, la fameuse PIERRA MENTA se dresse face à moi avec son aspect si caractéristique. La légende veut que ce soit le géant Gargantua qui, depuis la crête des Aravis, projeta d’un formidable coup de pied un immense rocher qui le gênait dans sa progression. Le rocher termina son vol en se fichant sur les montagnes de Roselend entre le Beaufortain et la Tarentaise.
Vers 18h00, au-dessus de Treicol, un superbe emplacement de bivouac me tend les bras et je m’installe avec vue sur la Pierra Menta et sur le lac. Parfaitement plat, sur un gazon anglais, à l’abri d’un rocher, je ne pouvais pas trouver mieux…
Mardi 17 septembre – LE TREICOL/ PEISEY NANCROIX
8 -ème jour. Après ce très agréable bivouac, je pars vers 8H00, en direction du col de Bresson (2469 m). Un peu plus au nord, le nouveau refuge du Presset. Il y a près de 30 ans, dans l’ancien refuge, nous avions passé une nuit un peu mouvementée avec Dom, Mireille, Philippe et d’autres, lors d’une randonnée à ski au départ d’Arêches…
Je redescends vers la Tarentaise. Petite toilette « mérinos » au joli refuge de la Balme qui vient de fermer. A partir du 15 septembre, la majorité des refuges ferment dans tous les massifs. Ensuite, longue descente jusqu’à Valezan, triste village où je pensais, à tort, trouver un bistrot pour me désaltérer par cette très chaude journée. Nada ! mais à la sortie du village, je croise un abreuvoir ombragé par un prunier qui fait pleuvoir des fruits bien mûrs. J’y pique-nique avec le dessert assuré. Puis descente raide vers Bellentre, tout aussi moche village sur la N90 qui joint Moutiers à Bourg-St-Maurice. Là encore tout est fermé. A Landry, je finis par trouver une petite épicerie ouverte où je peux me réapprovisionner : Pain, cacahouètes salées, sardines, saucisson et bananes. Je m’offre même une glace, bien agréable par cette température estivale. Puis j’entame la montée vers Peisey-Nancroix. Avec ces provisions mon sac est un peu plus lourd et mon rythme s’en ressent. Je connais mieux ces parages en hiver pour avoir souvent skié par ici. Hors-pistes sympas entre les Arcs et ce vallon ou encore les belles descentes sur le versant nord de Bellecôte depuis La Plagne.
Vers 18h30, je trouve un emplacement de bivouac correct dans la forêt de Nancroix.
Mercredi 18 septembre – NANCROIX / REFUGE DE LA LEISSE
9 -ème jour. Je démarre au lever du jour. C’est un des rares inconvénients de la randonnée à cette période de l’année : les journées sont courtes, entre 7h00 du matin à environ 19h00 et bien sûr cela ne va pas s’améliorer surtout que, tout en descendant au sud, je tire vers l’est.
Départ bien tranquille le long de la rivière jusqu’au beau Chalet-refuge de Rosuel qui marque l’entrée dans le Parc National de la Vanoise, le plus ancien des parcs nationaux français.
Je suis en terrain connu. Le sentier s’élève rapidement vers les plans de la Plagne. Je suis déçu de ne pas apercevoir chamois et bouquetins. Ce ne sont pourtant pas les autres randonneurs qui les dérangent : il n’y a personne. Peut-être les cris d’alarme des marmottes, qui, elles sont toujours aussi nombreuses. La succession de plateaux et de verrous rocheux qui se succèdent jusqu’au col du Palet me plait bien. De chaque côté, des hauts sommets dont le Mont Pourri, le Dôme de la Sache et loin devant moi, la Grande Motte et la Grande Casse. Je rattrape une jeune randonneuse avec un sac énorme qui avance bien lentement. Vers midi, j’arrive au refuge du Col du Palet, encore ouvert pour quelques jours. Il s’est bien agrandi et modernisé depuis mes précédents passages. Je crois y avoir séjourné 3 fois dont une avec Pascal, sous la neige et une avec Philippe. Pique-nique sympa agrémenté d’un coca et d’un fromage blanc aux myrtilles pour améliorer l’ordinaire. Au moment où je vais partir, la randonneuse arrive au refuge. Elle me confie marcher davantage au mental qu’au physique. Elle est partie ce matin du chalet-refuge de Rosuel et compte rejoindre ce soir le refuge de la Leisse, qui est encore à environ 4 à 5 heures de marche. C’est également mon objectif pour aujourd’hui. Avant, il faut rejoindre le Col du Palet, puis redescendre jusqu’à Tignes-Val-Claret, à travers les pistes et les pylônes des remontées d’un des plus grands domaines skiables du monde. Paysages défigurés. Après Val-Claret, montée vers le col de la Leisse sous les restes du glacier de la Grande Motte, couvert de remontées mécaniques, souvent ouvertes pratiquement toute l’année et lieu d’entrainement des équipes de ski de compétition. Enfin, après le col, on découvre le début des très beaux et enfin sauvages vallons de la Leisse. Les teintes automnales conviennent particulièrement bien à ces reliefs assez doux encadrés par de hauts sommets. J’imagine de belles randonnées à ski dans ces parages.
Le refuge de la Leisse se fait un peu désirer et finit par se dévoiler en surplomb du vallon. J’ai plaisir à retrouver ce refuge du parc de la Vanoise où j’ai déjà dormi, il y a bien longtemps, lors d’un tour de la Vanoise en solo. Le refuge n’est plus gardé à cette époque. Un couple de randonneurs est déjà installé. La bonne quarantaine, ce sont des marcheurs aguerris : ils suivent la « Via Alpina » qui traverse tout le massif alpin européen. Ils ont quitté Trieste, tout à l’est de l’Italie, le 1er juillet dernier et marchent depuis plus de 2 mois et demi ! Chapeau ! Ils ont franchi l’Italie par les Dolomites, l’Autriche, La Suisse, à nouveau l’Italie et désormais la France. Ils vont jusqu’à Guillestre, au sud de Briançon. Très sympas et bavards, ils me racontent leur traversée, juste un peu gâchée par une météo peu favorable en juillet et août. Ils sont en autonomie, réalisent des petites étapes et sont également confrontés à la difficulté de se ravitailler, surtout depuis septembre.
Je m’inquiète pour la jeune randonneuse qui n’arrive pas alors que la nuit est tombée. Elle finit par franchir la porte, bien crevée et soulagée de ne pas avoir à planter sa tente près du refuge comme elle l’imaginait. Ce n’est que son 2eme jour de marche et elle compte rejoindre Menton, où elle habite. Nous la rassurons sur le fait qu’il est normal d’en baver les 2 ou 3 premiers jours d’une telle randonnée. Mais il faudrait qu’elle allège son sac… Je suis admiratif qu’une gamine de 22 ans, sans expérience, se soit lancée dans cette aventure et avec les 2 autres pensionnaires du refuge, nous l’encourageons à continuer.
Jeudi 19 septembre – REFUGE DE LA LEISSE/ PRALOGNAN
10 -ème jour de marche : Bien dormi dans le refuge et départ vers 7h30 au lever du jour en compagnie du couple « Via Alpina ». Lumière rasante superbe de ce début de journée sur les vallons de la Leisse et vision sur la face est de la Grande Casse déjà parfaitement éclairée par le soleil et qui se détache sur un ciel bleu immaculé. Nous longeons le fond du vallon jusqu’au très joli pont en pierres de Croé vie. Nos routes se séparent : Mes compagnons vont plein sud pour rejoindre Termignon et moi je monte à l’ouest vers le col de la Vanoise. Je longe la grosse masse de la Grande Casse, sommet principal de la Vanoise, qui se reflète dans une succession de petits lacs.
Les glaciers de la Grande Casse sont bien minables par rapport à l’époque où nous l’avions gravi avec Philippe... et un jeune chien qui nous avait suivi longtemps ! J’essaie de visualiser quel pourrait être aujourd’hui l’itinéraire à suivre dans ces bouts de séracs pour atteindre le sommet. Je passe sans m’arrêter devant le grand refuge du Col de la Vanoise, en pleins travaux. J’y ai souvent dormi. Au début dans l’ancien refuge qui ressemblait à un frigo, au propre comme au figuré. Un automne, nous y étions montés avec Philippe avec 2 kilos de patates crues que nous avions fait sauter sur le poêle. Les lyophilisés n’existaient pas… La dernière fois est récente. C’était au début aout 2015 avec mon fils Arthur. Pour réaliser ensemble une jolie course rocheuse, la traversée de l’arête du Pelve et j’avais eu la malencontreuse idée d’engager un jeune aspirant guide qui me couta une malléole et 3 côtes cassées après avoir joué à saute-crevasses ! En redescendant aujourd’hui du col vers Pralognan, je réalise que j’étais un peu cinglé d’avoir fait cette interminable et pénible descente par mes propres moyens, pratiquement à cloche-pied. J’étais jeune et inconscient...Le guide avait juste eu la décence de descendre mon sac à dos jusqu’au parking des Fontanettes. 4 ans plus tard, je suis très heureux de constater au cours de cette longue marche que je n’ai gardé aucune séquelle de cette mésaventure. J’arrive à Pralognan vers 13h00 et décide de m’offrir une après-midi de repos en prévision de la longue étape prévue demain. Une bonne bière à une terrasse ombragée, quelques courses dont de la crème solaire pour tartiner mon nez qui s’épluche sous les coups de soleil. Petit hôtel pour douche, lessive et bon repas…
Vendredi 20 septembre – PRALOGNAN/ MODANE
11 -ème journée : Je quitte l’hotel à 8h00. Le temps est toujours idéal, pas un nuage Je craignais un peu cette longue étape (32 km) avec sa montée de 1400 m jusqu’au Col de Chaviere, point culminant de ma GTA, à 2796 m, dans un environnement lunaire et chaotique, suivie d’une descente de 1700 m jusqu’à Modane avec les 800 derniers mètres à un pourcentage débile... En fait, c’est passé tout seul. Montée tranquille avec vue sur le glacier de Peclet Polset, pause pique-nique au refuge de Peclet qui était en train de fermer et coup de reins dans les éboulis de la dernière montée au Col, après un passage au Plan des Cairns, le bien nommé : Une vraie forêt de cairns de toutes les tailles et de toutes les formes. Ensuite, la descente qui commence sagement dans les alpages puis atteint un premier étage de forêt, en balcon, où tout à coup je réalise que j’arrive dans le sud avec ces premiers pins cembro, leur ombrage délicat et qui, avec la chaleur, dégagent leur odeur sucrée, caramélisée... Pour les 800 terribles derniers mètres de descente bien raide, je me mets du bon vieux rock des années 70-80 dans les oreilles et ça passe ! J’arrive à Modane vers 17h00. Après avoir trouvé un hôtel près de la gare, je passe dans la boutique de photographe de Jean-Luc Viard, que je connaissais quand il travaillait dans la galerie de Croix Dampierre à Chalons. Il est parti le matin même avec d’autres connaissances chalonnaises pour faire le Tour du Mont Blanc. Très belle expo de ses photos de voyage au Népal.
Pendant cette traversée de la Vanoise entre Peisey-Nancroix et Modane, différents souvenirs me sont revenus puisque c’est dans ce beau massif que j’ai commencé « la montagne », il y a maintenant plus de 45 ans…
Déjà, l’équipement : j’ai gardé une vielle photo, sans doute prise par Philippe au départ de Pralognan où je devais avoir 23 ou 24 ans. J’étais vêtu d’une sorte de knickers en grosse toile et d’une lourde chemise à carreaux en laine, qui fut longtemps ma chemise fétiche pour la montagne et dans laquelle je devais rapidement baigner dans mon jus. Mon sac à dos était un bon vieux Millet de 60 litres en forme de tuyau de poêle avec une extension pour faire 70 litres et qui dépassait le haut de ma tête d’au moins 50 cm, ce qui provoquait des risques de déséquilibre permanent, et bien sûr de bonnes grosses chaussures en cuir bien rigides qui te tuaient les pieds au bout de 100 m. On partait en refuge avec des pommes de terre crues pour le dîner du soir... Les plats lyophilisés n’existaient pas…
Autre souvenir (et il y a désormais prescription...), lors d’un tour des glaciers de la Vanoise avec Philippe et un autre pote dont le nom m‘échappe, j’avais abandonné mes camarades après le refuge de l’Arpont pour redescendre à Termignon, prévoyant de faire ensuite du stop jusqu’à Modane pour remonter retrouver les potes au refuge de l’Orgére. Pourquoi Philippe ne m’a jamais cru lorsque je lui raconté que la jolie Marinette (je me souviens même du prénom) après m’avoir pris en stop, m’a proposé de faire un arrêt dans un pré isolé pour « pique-niquer » ...Ses intentions étaient sans doute plus orientées vers la deuxième partie de ce verbe composé. Mais moi, trop bête ou trop timide ou trop surpris de cette opportunité inattendue, surtout avec le fumet que je devais dégager, je suis resté bien sage. Et Philippe ne m’a pas cru !
Je rassure immédiatement ma Chère et tendre Dominique : si aujourd’hui, chose bien improbable, une autre Marinette me prenait en stop, je serais encore plus sage, pour d’évidentes raisons. J’en profite pour remercier publiquement ma Dom de laisser son vieil ours de mari courir...les montagnes.
Je me souviens également du sac à dos de Philippe prenant la poudre d’escampette dans la face nord enneigée du col de Chavière.... et de notre première randonnée à ski, au printemps 1980, vers le refuge de l’Arpont où nous n’avions pas imaginé qu’un sentier balcon, facile l’été, pouvait devenir la pire des solutions avec une bonne couche de neige de printemps bien instable. La descente dans une neige pourrie, par les gorges du Doron avec les skis « Yétis » et le fameux sac tuyau de poêle, avec des coulées de neige lourde qui partaient dans tous les coins faillit signer prématurément la fin de nos exploits montagnards. Pour cette première sortie à skis de rando, nous avions dû cumuler toutes erreurs possibles ! Heureusement, une bonne étoile veillait sur nous, cela ne nous a pas dégouté et nous avons persévéré...
Samedi 21 septembre – MODANE/ NEVACHE
12 -ème journée de marche. La sortie de Modane est un peu pénible en raison de travaux forestiers qui coupe le GR5. Montée raide jusqu’à la station de ski de Valfréjus puis vers le col de la Vallée Etroite. J’ai déjà parcouru ces parages, à pied et à ski. En particulier, pendant l’hiver 1992 où j’étais monté seul à ski vers le refuge du Thabor dans lequel j’étais resté bloqué pendant 3 jours entiers par la tempête avant de franchir le col, puis de rejoindre Plampinet, dans la Vallée de la Clarée avec une fixation de ski cassée… Depuis Valfréjus, je monte un moment en compagnie d’une femme suisse sympathique qui entreprend également la GTA par petites étapes. Je n’ai pas l’impression de marcher très vite, mais au bout d’une demi-heure, elle s’arrête, essoufflée, s’excusant de ne pas pouvoir suivre le rythme… Un peu plus haut, plein sud, je vois se découper le Mont Thabor et sa petite chapelle que j’ai visité plusieurs fois. Pour la première fois depuis le début de ma traversée, je vois également monter de grands bancs de brouillard. En arrivant au col et à sa croix qui marque l’entrée dans les Hautes-Alpes, la visibilité est réduite, tout comme la température. Je mange un morceau à l’abri d’un rocher puis j’entame la descente de la Vallée Etroite dans un paysage fantomatique. Direction les Granges de la Vallée étroite avec les refuges de I Re Magi et de I Tre Alpini. C’est toujours en France, mais tellement proche de la frontière italienne et en particulier de Bardonecchia que la plupart des mentions écrites sont en italien. Tous les chalets sont fermés à double tour, avec des portes et des fenêtres renforcées, surement pour éviter l’accès aux malheureux candidats à l’immigration qui essaient de franchir la frontière dans cette région. J’oblique ensuite vers l’est pour franchir le col des Thures après une longue montée dans la forêt. En débouchant au col, un vent violent refroidit encore l’atmosphère. Aujourd’hui, je suis passé de l’été, ce matin, à l’automne avec le brouillard et maintenant à l’hiver avec ses bourrasques glacées.
3 ânes barbotent dans les roseaux du lac, au col. Ils appartiennent au berger que je croise un peu plus loin avec ses chiens et ses moutons. Il me reste à descendre jusqu’à Névache. J’avais prévu de bivouaquer à côté de la rivière Clarée, mais ce changement brutal de temps me conduit plutôt vers le gite « La joie de vivre » que je connais depuis longtemps et où la cheminée est allumée. C’est devenu un « gite de charme » avec spa et soins de beauté et les tarifs s’en ressentent ! Si je retourne par ici, je chercherai un autre gite. Encore une belle journée de marche de 9h30 avec 29 km au compteur et 1800 m de D+. Je dine en compagnie d’un groupe de cinq amies, toutes originaires de la haute-Maurienne, venues souhaiter l’anniversaire de l’une d’entre-elles en Clarée.
Dimanche 22 septembre – NEVACHE/ BRIANCON
13 -ème jour de marche. Le temps ne s’est pas amélioré dans la nuit, il a plu et quand je quitte le gite, je n’ai guère d’illusions sur le déroulé météo de cette journée. Mais je suis serein car je sais que ce soir, je dormirais au chaud et au sec, chez Marianne à Briançon. Cette météo n’a rien à voir avec le temps superbe dont nous avons bénéficié à la fin juin, avec Dominique, lors de notre très joli périple de 3 jours autour de la Clarée. En plus du soleil dans un ciel sans nuage, nous avions profité de la fabuleuse flore du début d’été. Aujourd’hui, je choisis d’emprunter une variante au GR5 qui passe normalement par le col de Dormillouse et par Montgenèvre. Je préfère monter directement vers le col des Portes de Christol, puis rejoindre le col du Granon et la Croix de Toulouse qui surplombe Briançon. La pluie m’attrape après les très jolis lacs de Cristol. Pour la première fois depuis le début de ma traversée, j’enfile ma cape de pluie qui recouvre intégralement mon sac et ma personne. J’avais longuement hésité à prendre cette cape en plus de ma surveste. Je suis presque heureux qu’il pleuve ce matin pour justifier d’avoir pris cette charge d’environ 400 g dans mon sac ! Après les portes de Cristol, le chemin rejoint une large piste qui suit la courbe de niveau jusqu’au col du Granon et qui offre une vue sur toute la vallée de la Guisane et les nombreuses communes de Serre-Chevalier. La brume monte et descend au gré des reliefs, dessinant des paysages fantasques et variés. Après une longue descente régulière jusqu’à Serre Lan, une piste remonte jusqu’à la Croix de Toulouse. Puis le chemin descend brutalement de presque 700 m jusqu’à la Cité Vauban de Briançon. Vers 17h00, après avoir traversé la ville haute, déserte par ce dimanche pluvieux, je sonne à la porte de Marianne, une amie d’enfance de notre période meusienne.
Lundi 23 septembre - journée de repos à BRIANCON
Le beau temps est revenu ce lundi. Je suis en vacances ! Grasse matinée chez Marianne, qui m’a régalé hier soir d’un excellent osso-buco et d’une succulente tarte tropézienne. On a bien papoté. Ce matin, pendant qu’elle part travailler, je vais faire un peu de ravitaillement pour la suite de la traversée et je fais un tour chez le barbier pour moins faire peur aux animaux que je pourrais croiser. L’après-midi, je lézarde dans la vielle ville de Briançon, protégée par ses remparts et ses forts. J’ai parcouru environ la moitié de la traversée, en 13 jours, un peu plus vite que je l’avais prévu et sans le moindre désagrément. Mon corps et mon esprit sont désormais parfaitement dans le rythme de la longue marche.
Deuxième soirée bien agréable avec Marianne. Je refais mon sac avec mes affaires propres et le plein de vivres.
Mardi 24 septembre – BRIANCON/ CHATEAU-QUEYRAS
14 -ème journée de marche. C’est reparti ! Je quitte Briançon avec un temps ensoleillé en direction du col des Ayes, pour traverser le Queyras. La montée est régulière et un peu monotone, d’abord sur la route, puis sur une large piste. Seuls les 250 derniers mètres avant le col à 2477 m parcourent un chemin de montagne. L’arrivée au col se fait dans la brume et sous quelques gouttes, mais j’entrevois le soleil vers le sud. Descente sans histoire vers Brunissard, la Chalp, puis remontée vers le lac de Roue avant de plonger, dans une jolie forêt, vers Château-Queyras et son fort. Ce n’est pas une étape passionnante. Je plante ma tente dans un champ à la sortie du village, après avoir traversé la rivière Guil.
Mercredi 25 septembre – CHATEAU QUEYRAS/ LAC STE ANNE (sous le col Girardin)
15 -ème jour de marche. Encore quelques nuages au réveil, le temps est un peu incertain.
Ça attaque raide dans la forêt, puis plus régulièrement jusqu’au col Fromage à 2300 m. Le chemin redescend ensuite d’environ 700 m jusqu’à Ceillac ou j’arrive à midi. Joli village du Queyras qui fut le quartier général des « inventeurs » du GR5. Des pensées pour Philippe qui monte souvent ici pour parcourir les cieux en parapente. Un sandwich et une bière dans un des rares bistrots ouverts en cette fin septembre, et j’entame la montée vers le col Girardin. Nombreux lacets dans une belle forêt où coulent de puissants ruisseaux. Je croise plusieurs randonneurs dont un homme d’une soixantaine d’années, avec un gros sac et un gros ventre, mais pratiquement à poil à l’exception d’une sorte de chiffon devant le zizi ! La température a baissé et le vent souffle. Je décide donc d’arrêter au lac Ste Anne où je peux planter ma tente à l’abri de la petite chapelle du même nom. Pour la première fois, j’enfile ma doudoune pour la soirée. Il est vrai que le lac est à plus de 2400 m et que nous sommes fin septembre. Avec le vent, les nuages filent et m’offrent un somptueux spectacle de variations de lumières sur tous les sommets alentour. Je remplis ma gourde directement dans le lac à l’aide du petit filtre Sawyer.
Jeudi 26 septembre – LAC STE ANNE/ LARCHE
16 -ème jour de marche. Objectif du jour, rejoindre Larche, aux portes du Mercantour.
Lever aux aurores dans une ambiance un peu fraiche avec un très beau lever de soleil sur les sommets environnants, émergeants des brumes nocturnes. Le lac fume et me coupe l’envie d’une trempette. Montée directe vers le col Girardin à 2699 m. C’est la frontière entre le Queyras et l’Ubaye. Vers le sud, la vue est superbe avec au premier plan des vallons sauvages plantés d’un gazon doré et parsemés de petites sources et plus loin, une succession de montagnes dont l’Aiguille de Chambeyron, illuminés par les premiers rayons de soleil. Après la descente sur un premier plateau, le chemin plonge vers la rivière L’Ubaye et les hameaux de Maljasset et de la Barge. Paysages de cartes postales avec les mélèzes qui jaunissent.
Je retrouve des coins que j’ai parcouru en ski de randonnée, dans l’autre sens. L’avantage du ski, c’est que les descentes sont des récompenses. En marchant ce sont plutôt des punitions…
Je longe L’Ubaye sur plusieurs kilomètres, avant de remonter vers Fouillouse où je me régale d’un sandwich costaud et local et d’une excellente tarte aux myrtilles dans le bistrot-gite-épicerie du village. C’est l’été ! Pas un nuage et soleil brulant. Pas le temps de trainer car il me reste deux cols et une longue descente si je veux rejoindre Larche ce soir. Déjà 650 m de montée pour atteindre le col du Vallonnet, en laissant sur la gauche la longue crête frontière avec l’Italie, culminée par le Brec de Chambeyron. Puis légère descente dans un cirque parcouru de plusieurs ruisseaux, avant de remonter vers le col de Mallemort et ses vieux baraquements militaires en ruine. « Plus que » 850 m de descente jusqu’à Larche…Village sans intérêt sur la grosse route D900 qui mène de Barcelonnette à l’Italie. J’ai envie d’une douche chaude et d’un bon repas. Le gite d’étape est fermé pour travaux mais je trouve un petit hôtel avec un patron sympa qui connait bien la montagne. Il fait également office de chef cuisinier et me régale d’une succulente soupe au pistou, avec des légumes qu’il achète sur un marché italien tout proche. Une preuve de plus que je suis bien dans le sud de la France.
Vendredi 27 septembre – LARCHE/ SAINT DALMAS LE SELVAGE
17 -ème journée de marche. D’après le patron de l’hotel, il a plu dans la nuit. Mais ce matin, c’est à nouveau grand bleu. Sur presque 6 km, je suis une jolie petite route qui monte doucement vers le vallon du Lauzannier. C’est l’entrée dans le parc du Mercantour. Le chemin est particulièrement bien entretenu depuis le parking. Il y a même une partie cimentée pour permettre aux personnes en fauteuil de profiter de ce superbe vallon qui longe l’Ubayette. Je croise plusieurs troupeaux de moutons et leurs bergers et bergères. En fait, j’ai l’impression qu’il y a désormais plus de bergères que de bergers. Plus au nord, les troupeaux s’apprêtaient à quitter les alpages. Mais ici, la bergère me dit qu’elle va encore rester quelques semaines en altitude. C’est vrai qu’il fait encore bon et que l‘herbe est bien grasse. Le chemin se redresse pour atteindre le lac du Lauzannier. Ce site donne envie d’y bivouaquer. Mais je ne suis qu’au début de ma journée. Encore un lac, puis le sentier grimpe plus rudement dans les éboulis vers le Pas de la Cavale à 2671 m, soit 1000 m plus haut que Larche. Je suis curieux de découvrir la face sud de ce col car j’ai souvenir de l’avoir grimpé en crampons et piolet lors de notre traversée à ski. Cela avait été assez sportif, puis bien récompensé par une longue descente dans une excellente neige jusqu’à Larche. La face sud est effectivement bien raide et le sentier pour descendre est aérien, avec de multiples lacets, mais sans difficulté par beau temps. Devant moi s’étalent les multiples plans des cimes du Mercantour et au premier plan le vaste bassin du Salso Moreno avec ces effondrements qui font penser à des trous d’obus, liés en réalité à la géologie particulière de ce site. C’est vraiment grandiose, renforcé par les couleurs automnales des gazons. Arrivé au fond du bassin, je pique-nique à l’abri du vent, les pieds dans un ruisseau.
Montée vers le col des Fourches et son bunker. Un peu plus à l’est je découvre le camp des Fourches, immenses vestiges militaires de baraquements. Je croise la très belle route qui rejoint Barcelonnette à Nice en passant par l’un des plus hauts cols routiers de France, le col de la Bonette. Cette route est le graal des cyclistes, mais aussi des motocyclistes et des conducteurs de voitures de sport qui se régalent dans les successions de virages. Il y a justement un rare spyder 918 Porsche qui descend, mais à un rythme bien trop pépère…Le GR coupe les lacets de descente et rejoint le hameau de Bousiéyas. Nouvelle montée d’environ 350 m jusqu’au col de la Colombière. J’entame ensuite une longue descente dans un sentier assez accidenté vers ST Dalmas le Selvage. Nouveaux troupeaux de moutons et pour la première fois, je suis confronté à un patou réellement menaçant qui me surplombe de quelques mètres sans cesser d’aboyer pendant 10 bonnes minutes de descente. Il finit par me lâcher quand il estime que nous sommes assez éloignés du troupeau dont il a la garde. Il est vrai que c’est précisément dans ces parages que « le loup » avait fait ses premières réapparitions en France et ses premiers « méchouis ».
Peu avant d’arriver à St Dalmas, je découvre une magnifique plateforme de gazon, parfaitement plane qui me tend les bras pour un bivouac digne d’un catalogue de voyagiste. Non seulement la vue est superbe, mais les odeurs sont enivrantes. Je me croirais dans un show-room de chez Ducros avec toutes ces senteurs du sud. Je suis content de cette longue journée de plus de 10 heures de marche pour 30 km où je n’ai croisé que quelques bergers, leurs moutons et leurs patous et de très rares promeneurs. J’en suis fort aise…
Samedi 28 septembre – ST DALMAS LE SELVAGE/ LA ROYA
18 -ème jour de marche. Toujours grand beau à mon réveil. Quasi absence de rosée, ce qui facilite le réemballage des affaires de bivouac et le repliage de la tente. Peu après mon départ, je croise un gentil Beagle qui me fait la fête, suivi de son chasseur de maître. Le dialogue s’engage : “ Bonjour, Belle journée pour la chasse” “ oui, je vais aux lièvres (avè l’accent...), et d’où vous venez ?” “ j’ai bivouaqué juste au-dessus” “ Ah, et vous avez pas été dérangé par les cerfs ?” “ Ah non, mais toute la nuit, y avait des pauvres vaches qui meuglaient de désespoir !” “ Mais c’est pas des vaches !!! C’est le brâme des cerfs qui sont en rut !!!”... ahhhh.… Je pense qu’il en rigole encore et que ça va bien alimenter les apéros des chasseurs du coin. Allez, je continue mon chemin.
St Dalmas le Selvage est un très joli village, bien mis en valeur par la réfection des façades et des placettes accueillantes avec des fontaines généreuses. Direction St Etienne de Tinée, par le col d’Anelle. Je regrette ma méconnaissance mycologique car je croise des centaines de champignons qui sont sans doute des bolets, mais dans le doute… Lessive et toilette dans un joli torrent au-dessus de St Etienne de Tinée. Je remets mon t-shirt mouillé sur moi et avec la chaleur, il est sec lorsque que j’arrive au village. J’avais un souvenir mitigé de ce bourg, qui est pourtant le plus important depuis Nice. Ce nouveau passage me déçoit tout autant : une malheureuse épicerie sans achalandage digne de ce nom (même pas de cacahouètes salées…), pas de terrasse de bistrot sur la place du village et le seul bar ouvert est tenu par un gaillard qui doit être fatigué de naissance. J’achète le peu que je trouve pour renouveler mes vivres et me dépêche de quitter cette triste cité. Après quelques kilomètres le long d’une petite route, j’entame une très raide montée dans les bois vers la station de ski d’Auron. C’est beaucoup plus grand que je ne le pensais. Il parait qu’en hiver l’enneigement est toujours excellent, malgré l’altitude modeste. A cette période, la station est déserte, à l’exception de nombreux chantiers de constructions pour bâtir de nouvelles résidences…Quand je vois tous ces chalets et ces appartements aux volets clos un si beau samedi d’automne, à environ 1heure et demi de voiture de Nice, j’ai un peu de mal à comprendre l’intérêt d’investir dans ces stations.
Après Auron, nouvelle montée vers le col du Blainon à 2008m. J’y rejoins un couple de randonneurs, la cinquantaine. Ils suivent également le GR5, mais jusqu’à Nice par manque de temps pour aller jusqu’à Menton. Au moment où je repars, l’homme me demande s’il peut me suivre pour la descente. Pas de problème ! Mais qu’ils sont bavards ! Dès que l’un des deux s’interrompt un dixième de seconde pour reprendre son souffle, l’autre enchaîne. En un quart d’heure, je sais tout de leur vie, de toutes les randonnées (nombreuses) qu’ils ont réalisées partout dans le monde, de leurs combats politiques (utopiques), de la réussite de leurs enfants, des inventions géniales qu’ils ont mis au point, mais que personne n’a compris, etc., etc… Plus surprenant, l’homme me révèle qu’il a le vertige et que c’est la raison pour laquelle il préfère me suivre de prés. En fait, il ne décolle pas son regard des 20 cm de chemin devant ses pieds. Dommage quand on veut faire un GR de montagne. La descente sur le hameau de la Roya est pourtant fort belle et, si j’étais content, au début, de faire un brin de causette, cette compagnie trop bavarde finit par me « gaver ». En arrivant à la Roya, je prétexte d’avoir à poser une question au proprio du gite d’étape et me sépare de ces causeurs. J’en profite pour boire un soda bien frais puis je commence la montée dans la forêt au-dessus de la Roya en espérant que mes compagnons aient décidé de bivouaquer près de la rivière, comme ils l’avaient projeté. Je reprends la marche, sans parole, et monte dans la forêt, à la recherche d’un emplacement de bivouac. Je finis par trouver une minuscule terrasse plane et moussue où je m’installe avec bonheur. Cette nuit encore, le brâme des cerfs résonne dans la forêt.
Dimanche 29 septembre – LA ROYA/ ROURE
19 -ème étape. 29 km. 10h15 de marche. 1500 D+ 1800 D-. La plus sauvage des étapes qui commence par une longue montée jusqu’au col de Crousette (2480 m) suivie d’un raidillon jusqu’à la stèle du mont Mounier. Avec la lumière de début de journée, c’est magnifique. Étonnamment, il y a des cours d’eau partout. Sous le Mounier, je croise au loin une bande de chamois un peu trop éloignée et trop dans l’ombre pour faire des photos (sauf une sur la crête). Autre rencontre, plus étonnante, dans la raide et caillouteuse montée vers la stèle : un homme de mon âge, moustache et casquette et surtout équipé de deux béquilles ! Il descend à 0,05 km/h ! Il m’explique qu’il marche ainsi avec ses béquilles, sur tous les chemins, depuis 15 ans. La circonférence de ses chevilles nues fait le tiers des miennes, pourtant pas bien grosses. Au rythme où il marche, il lui faudra 12 heures pour rejoindre la Roya ! Je ne sais pas s’il faut dire chapeau pour son courage ou crier au fou ! Après la stèle dédiée à un héros militaire, la descente se fait dans un paysage martien sans un brin de végétation.
Puis remontée vers les Portes de Longon où je retrouve de beaux alpages, un paysage quasi vosgien. Je passe sans m’arrêter devant la Vacherie de Roure avant d’entamer une longue descente jusqu’au petit village de Roure où j’arrive vers 18h00. Très joli village accroché sur les flancs de la montagne et qui surplombe de 600 m la vallée de la Tinée. Je visite par les toutes petites ruelles qui descendent et, oh surprise, je passe devant une minuscule boulangerie, ouverte en ce dimanche soir ! C’est juste un fournil, sans vitrine ni même un comptoir, où œuvre Eugène, un personnage. Vieux tablier et vieille toque, grande barbe blanche, âge avancé mais indéfinissable, Eugène travaille tous les jours depuis des décennies. A l’écouter, il n’arrêtera que le jour de sa mort. Etalées sur les plaques de cuisson, il lui reste de la pissaladière, de la pizza, de la tourte à la myrtille et de la tarte aux blettes. Je lui commande une part de chaque et d’autorité, il me sert chaque fois le double ! Tout ça plus un pain de campagne pour la somme extravagante de 5,70€... Avec son bel accent, il me demande : « vous dormez au gîte communal ? Moi : je ne sais pas, je pensais camper plus bas. Un autre client me dit : allez donc au gîte, c’est ouvert, vous vous installez et vers 20 heures l’adjointe au maire passera ». Je vais voir : superbe installation, nickel et tout confort. Je suis tout seul, j’ai le choix des chambres. Douche chaude, lessive, cuisine équipée, matelas confortable : le grand luxe. Décidemment ce village de Roure vaut le voyage.
Lundi 30 septembre – ROURE/ PLAN GOURRA
20 -ème jour de marche. Bien reposé et tout propre, je quitte Roure pour une descente rapide vers St Sauveur sur Tinée. J’y fais quelques courses dans la petite et unique épicerie. Les boites de sardines sont à demander à la caisse. Sans doute la tradition qui voulait que l’épicier retourne tous les jours les conserves de poisson pour favoriser leur conservation. Je monte ensuite vers Rimplas sur un chemin bordé de châtaigniers. Je ramasse quelques poignées de châtaignes qui compléteront mes repas. Sous un chaud soleil, je continue jusqu’à St Dalmas Valdeblore. C’est ici que je quitte le GR5 qui descend à NICE et je prends la variante, le GR52 qui fait une grande boucle vers le nord puis l’est et qui rejoint MENTON. L’itinéraire direct, plein sud, vers Nice serait plus court, de 2 ou 3 jours, mais je n’ai pas envie de traverser toutes les zones commerciales et industrielles qui précèdent la Promenade de Anglais sur une vingtaine de km. Et puis, je veux visiter la vallée des Merveilles. Donc cap au nord et je remonte jusque 18 h, puis cherche un emplacement plat pour bivouaquer. Pour une fois, rien de tel et je retiens le moins pentu, ce qui me vaudra de faire du rappel toute la nuit dans mon duvet...Mais, bien qu’à environ 1800 m, la température n’est pas trop fraîche et aucune rosée le matin, ce qui est très appréciable quand on replie la tente. Ce soir, ni vaches, ni cerfs, ni loups, juste un troupeau de 800 moutons qui redescendaient avec leur berger et les chiens. Rigolo de constater que comme j’étais déjà installé, assis près de ma tente, les chiens patous sont passés à côté de moi sans aucune manifestation à mon égard. Coupés en fines lamelles, les châtaignes ramassées ce matin ont agréablement amélioré ma soupe du soir. En début de nuit, un hélicoptère tournera très longuement au-dessus de la zone, avec son projecteur allumé. Je n’ai pas su ce qu’il cherchait.
Mardi 1er octobre – PLAN GOURRA/ BOREON
21 -ème jour de marche. Lever aux aurores pour sortir de ma tente en pente. Belle montée vers le col de Veillos suivi du col de Barn à 2451 m. Très joli lac suspendu avant le col, où bivouaquent deux vieux randonneurs peu aimables. Longue et belle descente dans un charmant vallon puis une forêt majestueuse où j’aurais pu croiser le loup... ou le Chaperon Rouge. De vieux pins tordus, des mélèzes, des fougères bien grasses et partout, des ruisseaux qui dévalent. Depuis des jours je croise des champignons qui me semblent être des cèpes (pas les rouges avec des points blancs !) Comme je suis aussi ignare en champignons qu’en brames de cerfs, je préfère ne pas y toucher mais je me promets d’apprendre à reconnaitre les principaux comestibles Ensuite courte remontée au col de Salèze, accompagné d’un troupeau de vaches avant de redescendre toujours dans cette belle forêt jusqu’à Boréon et sa retenue d’eau prisée des pêcheurs du coin. Il n’était que 14h00 et j’avais envisagé d’enchaîner vers la Madone de Fenestre,
Pour ce faire, il fallait franchir le Pas de Ladre avec une remontée bien raide de près de 1000 m. Mais le temps devenait menaçant, information confirmée par une dame qui m’annonce des précipitations dans la soirée. Sagement, je préfère rester à Le Boréon où je trouve un petit hôtel ouvert, au-dessus du lac. Donc longue après-midi de repos avec douche et lessive, puis bon repas. C’est ici qu’est installé le Parc Alpha, un grand parc animalier où il est possible d’observer des loups et d’autres animaux en semi captivité. J’ai eu raison de faire ce choix car à partir de 17h00, de grosses pluies s’abattent sur cette vallée.
Mercredi 2 octobre – LE BOREON/ REFUGE DE NICE
22 -ème étape, 23 km, 9h de marche, 1680 de D+ 1000 de D-. Depuis le Boréon, belle et régulière montée, en zigzagant entre les flaques d’eau, dans une forêt aux essences variées, toujours beaucoup de champignons. Je double au moins 100 « vieux » (ben oui, moi je suis jeune...) qui grimpent d’un pas assuré vers le Pas des Ladres. Le plus pénible ce sont leurs bavardages incessants, surtout le tout premier, le chef sans doute, qui veut à tout prix me faire partager ses pensées sur la marche, l’écologie, le prix des choux-fleurs et des navets... je fous un coup de boost dans les derniers mètres avant le col (le pas des Ladres à 2448 m) pour me débarrasser de cette bruyante compagnie. Des ouvriers sont en train d’entretenir le sentier et je les remercie chaleureusement pour le dur boulot qu’ils abattent pour nous faciliter le cheminement. Je déjeune toujours au soleil dans la longue descente qui va jusqu’à la Madone de Fenestre.
C’est un lieu de pèlerinage connu, mais moche, plein de touristes montés en voiture. Il y a un grand refuge du CAF, mais fermé. Il n’est pas tard, je décide de continuer vers le refuge de Nice. Pour cela il faut franchir le Pas du Mont Colomb, sans doute le passage le plus technique de la traversée. Montée puis descente très raide dans d’énormes pierriers où il faut à la fois ne pas se perdre car il n’y a pas de chemin tracé et sauter de pierre en pierre sans droit à l’erreur. Il reste quelques traces de neige d’une récente chute. Dans la descente, puis tout le reste du chemin jusqu’au refuge, je suis distrait par de nombreux chamois, la plupart très jeunes, qui me donnent l’impression de se moquer de moi, tant ils dévalent les pentes avec aisance.
Enfin, petite montée pour rejoindre le refuge de Nice, un des plus gros des Alpes. Il n’est plus gardé depuis quelques jours mais le refuge d’hiver est ouvert et bien équipé. Il y a du monde : un père et sa fille qui font une tranche du GR5, deux copines montées pour la nuit et deux trentenaires partis de Briançon où ils habitent, pour suivre le GR jusqu’à Menton. Ils ont zappé 3 ou 4 étapes en raison de grosses ampoules aux pieds. Je réalise encore ma chance de ne pas avoir eu la moindre ampoule depuis le début. Plus grand chose à manger dans mon sac et je suis bien content d’avoir encore quelques châtaignes ramassées la veille. Ce soir encore elles agrémentent ma soupe. La nuit tombe de plus en plus tôt et je rejoins rapidement le châlit.
Jeudi 3 octobre – REFUGE DE NICE/ COL DE TURINI.
23 ème étape , 29 km, 10h15 de marché, 930 de D+, 1500 de D- . Je pars en même temps que les 2 Briançonnais. Les chamois sont toujours présents dès l’arrivée du soleil. La montée puis la descente de la Baisse du Basto est aussi technique que la veille, mais plus courte et mieux balisée. Gare aux chevilles. Je reste bien concentré pour éviter chute ou torsion malvenue. Les bâtons sont vraiment utiles sur ce type de terrain, mais peuvent se révéler dangereux si on les laisse se coincer entre deux rochers. Après le deuxième col, la Baisse de Valmasque, on entre dans la fameuse Vallée des Merveilles où furent découvertes il y a 2 siècles des gravures rupestres. Wikipédia vous en dira plus que moi. Tout ce trajet est désormais très protégé, mais les touristes du 19eme et 1 ère partie du 20eme siècle se sont bien amusés à graver leurs patronymes sous les gravures préhistoriques. Pour ma part, je suis un peu imperméable à la qualité graphique de ces chefs-d’œuvre. Je vais sans doute blasphémer mais tous nos enfants faisaient les mêmes dessins dès qu’ils ont su tenir des crayons de couleur... Les lacs se succèdent tout au long de la vallée des Merveilles, avec souvent des retenues d’eau ou des petits barrages pour profiter de l’hydroélectricité de ce fabuleux potentiel. Pique-nique devant le refuge des Merveilles. Il devait être gardé et mes compagnons randonneurs, également à court de vivres espéraient bien s’offrir une bonne omelette. Pas de chance, un mot sur la porte annonce que le gardien est descendu jusqu’au lendemain soir. Nous croisons deux suisses qui nous disent qu’il y a une auberge ouverte au Col de Turini. On continue vers ce paradis. Nouveaux petits lacs et nouveau col : le Pas du Diable. Pour la première fois, depuis 23 jours, je vois enfin LA MER ! Elle brille, tout là-bas sous de gros nuages, à deux jours de marche. Encore 2 cols, cet après-midi, que nous parcourons dans une brume épaisse et fraîche avant d’arriver à l’auberge en haut du col de Turini! Les amateurs de rallye automobile connaissent bien ce col, passage obligé du Rallye de Monte-Carlo depuis toujours.
Vendredi 4 octobre – COL DE TURINI/ SOSPEL
24 -ème journée de marche. 9h30 de marche, 29 km, 750 D+ et 1650 de D-. Il existe plusieurs variantes pour rejoindre SOSPEL. Je décide de prendre la variante GR 52A en passant par Moulinet car son parcours de crêtes me semble sympa. Ça commence par une très belle ballade en forêt où je croise seulement deux ramasseurs de champignons. Ils ont de beaux cèpes et des sanguins (car, m’expliquent-ils, ce champignon laisse apparaître un liquide rougeâtre quand on le coupe) Puis longue et belle chevauchée d’un chemin de crête qui monte et descend dans les herbes odorantes. Je cueille de la menthe qui embaume et de la sarriette. Toute la matinée, j’ai encore entendu les brames des cerfs. Et soudain j’entends un peu plus bas des gros craquements dans la végétation. Et je vois pendant quelques secondes un grand cerf à environ 100 mètres en contrebas. Pas le temps de prendre une photo mais je le laisse prudemment s’éloigner. Je ne voudrais pas lui faire peur (!). Le sentier longe de nombreuses ruines d’habitations et de restanques, vestiges mélancoliques d’activités pastorales aujourd’hui disparues. Nos anciens avaient du courage et de la patience pour exploiter ces terrains montagneux. Ils avaient également su créer et entretenir des réseaux de petits canaux pour irriguer leurs cultures. 3 km avant l’arrivée à Sospel, je dois faire un grand détour avec rude montée et descente car un énorme éboulement a emporté tout un pan de la montagne. Je dois revenir sur mes pas pendant ¼ d’heure pour constater qu’une déviation du GR était indiquée, mais de façon trop camouflée. J’arrive enfin à Sospel, jolie petite ville un peu délabrée où je trouve une chambre d’hôte chez une vieille dame. Bien content car demain sera la dernière étape jusqu’à Menton !
Samedi 5 octobre – SOSPEL / MENTON
25eme et dernière étape ! 23 km, 7h00. D+900. D-1300. Euphorie de savoir que c’est la dernière étape. Montée au Col du Razet puis à celui de Colla Bassa à encore plus de 1100 m au-dessus de la mer. Toujours des fontaines qui procurent une eau fraîche et limpide même dans ces régions du sud et même en cette année sèche. Les restanques se multiplient, les premiers pins parasols étendent leurs ombrages et répandent leurs pignons. À partir du Colla Bassa, la mer et l’immense baie de Menton défilent sous mes yeux mais il y a encore du chemin avant de m’y tremper les pieds. Au col, des voitures de chasseurs et un vieux chien à moitié aveugle qui se met à me suivre dans la descente. Au bout de 500 m je décide de le remonter pour l’attacher près d’une voiture. Retourné au col, 2 tirs tout proches le font cavaler vers l’origine des coups de feu et je peux recommencer ma descente. Je me régale de mûres sucrées. Dernier pique-nique près d’une fontaine. Aujourd’hui, c’est menu de fête avec cette boite de sardines et cette pomme achetées à Sospel.
Après une dernière rencontre avec un illuminé, tout en haut de Menton, un homme de 83 ans soi-disant plus jeune commandant de l’armée à 22 ans, adepte de toutes les théories du complot, nostalgique de Mussolini et de Hitler. Il a tout fait et tout vu, mais surtout il m’empêche d’en finir avec ma dernière descente.
Enfin, vers 15h00, je foule la plage, retire chaussures et chaussettes pour rentrer dans la Grande bleue !!! Elle est bonne !
C’est gagné !
Le lendemain, dimanche, je croise en ville un de mes deux compagnons randonneurs de l’avant veille. Ils sont restés une journée à Sospel pour attendre des amis. Et tout à l’heure à 1km du but, son copain s’est cassé la cheville en dérapant sur une pierre : direction les Urgences, sans passer par la case « pieds dans l’eau » .... comme quoi il faut être concentré jusqu’au bout.
Voila pour cette belle aventure:
- 25 étapes + une journée de repos
- 217 heures de marche effective
- un million soixante-quinze mille cent quatre-vingt-quatre pas (selon mon podomètre !)
- 683 km parcourus avec mes petites jambes
- 31300 m de dénivelé positif et un tout petit peu plus en dénivelé négatif puisque je suis arrivé au niveau de la mer !
- Des milliers de points de vue inoubliables
- Des millions de respirations, de soupirs d’aise et de battements de cœur,
- Un coup de soleil sur le nez, mais zéro ampoule,
- 6 kilos de moins sur la balance et une tonne de souvenirs dans la tête.
QUELQUES REFLEXIONS AUTOUR DE CETTE GTA…
En solo ?
De nombreuses personnes s’étonnent de me voir partir en solitaire. Tu ne t’ennuies pas, tout seul ? Ce n’est pas dangereux si tu te fais mal ou si tu te perds ?
D’abord, j’ai toujours apprécié la solitude, mes proches le savent. Ensuite, je ne comprends pas comment on peut s’ennuyer dès lors qu’on marche dans des environnements aussi variés et avec l’objectif d’atteindre un but qu’on s’est soi-même fixé. Il y a toujours à voir, à faire ou…à rêvasser.
Certaines activités sont déconseillées en solo, comme l’alpinisme où il est préférable d’avoir au moins un compagnon relié par une corde qui permettra un assurage rassurant lors de la progression. Mais la simple randonnée, même en montagne, sur un sentier correctement balisé, ne présente objectivement pas de grands dangers dès qu’on possède un minimum d’expérience.
Bien au contraire, le fait d’être seul m’oblige inconsciemment à être plus concentré sur mes actions et leurs conséquences. Je suis plus attentif, plus prudent. J’anticipe davantage. De plus, et c’est sans doute une forme d’égoïsme, en marchant seul, il n’est besoin de s’occuper que de soi et d’aucune autre personne dont on aurait à se soucier lorsqu’on marche à plusieurs. Lorsqu’il faut prendre une décision, inutile d’argumenter ou de discuter, personne ne pourra décider pour moi.
Et en cas d’erreur ou de mauvais choix, je sais que je suis le seul responsable. Je démarre et je m’arrête lorsque j’en ai envie ou besoin. La sagesse, en montagne, consiste à savoir s’arrêter et faire demi-tour avant qu’il ne soit trop tard. En groupe, on voudra aller plus loin, soit pour faire le malin, soit parce qu’on s’en remet à la décision d’un autre membre du groupe.
Et puis c’est incontestablement une véritable forme de liberté qui s’accorde merveilleusement avec la vie en montagne. Je ne pense pas être asocial et j’apprécie la compagnie, en tout cas celle que je peux choisir. Mais, marcher seul en montagne me procure un réel bien-être.




