Carnet de route
Week-end danbs les Vosges
Sortie : Randonnée dans les Hautes-Vosges avec au programme le célèbre et époustouflant Sentier des Roches. du 14/06/2024
Le 18/09/2024 par PICHON Yannick
WEEK-END VOSGIEN
Club Alpin de Châlons-en-Champagne
14 - 16 juin 2024
L’aventure, le grand air, les montagnes... Ce sont là quelques-uns des credo des randonneurs, escaladeurs, alpinistes, traileurs, et de manière générale, des amoureux de la nature en tous genres.
Chez ces amoureux de la nature, on compte les membres du CAF de Châlons, parmi lesquels ont participé à ce week-end fort en aventures : Nathalie, Ophélie, Angela, Fabienne, Sabine, Elise W., Elise G., Thierry, Jérôme, Jean, Jean-Michel, moi- même et Alain, notre guide/encyclopédie/historien/maître ès Deutsche Sprache.
C’est animés par la volonté vibrante de vivre des moments vivifiants, et ressentir les sensations et le bonheur que ces choses simples, mais non-moins impérieuses, procurent, que quelques-uns d’entre-nous se sont réunis un vendredi 14 Juin 2024 au soir, dans un modeste mais chaleureux refuge aux abords du parc naturel régional des Vosges.
Afin d’ôter de ce pas tout préjugé, ce lieu emblématique de l’Est de la France n’est pas qu’une collection de noms et lieu-dits en tous genres à consonance germanique, imprononçables pour le commun des mortels. Non, il s’agit aussi et surtout d’une réserve naturelle à part entière, où s’entremêlent et s’embrassent monts rocailleux, massifs aux formes suaves, falaises abruptes et chemins escarpés, forêts vastes de conifères et autres feuillus d’une verdure chatoyante rare (du moins, bien moins pâle et fade que nos forêts marnaises...).
Tout en arrivant les uns après les autres au Refuge des Trois Fours en ce vendredi soir, la pluie ne cessait de tomber à mesure que la nuit en faisait de même, nous laissant le doux espoir qu’une fois ce cumulonimbus coléreux asséché dans la nuit, la journée du lendemain nous offrirait les rayons ardents du soleil que nous avions tant espéré avoir toute la semaine précédent notre périple. Nous ne le savions pas encore, mais pauvres de nous, nous ne pouvions être plus dans l’erreur…
A peine rassemblés, nous partagions notre premier repas. Au menu ce soir, soupe de légumes parfumée au cumin, bœuf bourguignon accompagné de pâtes, et fromage de munster. Au dessert, un excellent cake aux abricots. Ou étaient-ce des pêches ? Non, probablement des abricots si j’en crois la saison, quoi que celle-ci semble définitivement en décalage puisque ce printemps 2024 a plus des aires d’automne à notre grand dam… Mais soit.
Ainsi commence notre aventure. Non-pas d’emblée foulant d’un pas déterminé les chemins et les flancs de montagnes, mais assis autour d’une bonne tablée, à ripailler, et jouer à des jeux de société hilarants, apprenant à nous connaître par le sourire. Le sourire. Comment mieux démarrer une telle aventure en groupe ?
Au programme de cette soirée post-digestion ; petite veillée ludique afin de pouvoir accueillir Elise W et Jérôme qui arriveront sur le tard, puisque leur GPS semble avoir perdu le sens de l’orientation (selon notre cher Alain), un comble pour un GPS.
Par ludique, nous entendrons principalement « fous rires garantis autour des questions hilarantes que propose le jeu Burger Quizz ». Pas besoin de faire un dessin, humour Chabatesque, délire complet au rendez-vous. Encore plus délirant quand on prend rapidement conscience au fil des cartes qui nous passent entre les mains, que l’édition que nous avons à notre disposition au refuge, date probablement du début des années 2000 (Jean-Marie Le Pen était encore une personnalité visiblement très mentionnée, entre autres sujets chatouilleux). Décidément, c’est vraiment une antiquité, un morceau d’histoire que nous avons entre les mains tant l’humour que cette boite contient, est sans filtre et d’une presque lointaine époque. Ah, les années 90… Le bon vieux temps.
S’ensuit après ce flot de fous rires et d’instruction humoristico-culturelle, un jeu de tarot. Gloups, je n’ai jamais joué à ce jeu suranné, ou, me permettrais-je même, désuet (je ne vais pas me faire d’amis avec cette déclaration)… Autant le Burger Quizz édition 1999 (estimation approximative) me va bien, autant ce genre de jeu archaïque… Allons-bon, trêve de qualificatifs insolents.
Il est donc temps pour mes compagnons du soir de m’apprendre les règles. Ma concentration me fait défaut. C’est mal parti. Les termes sont nombreux et énigmatiques, les règles distillées dans un ordre chaotique. J’ai l’impression d’être dans la peau de ce pauvre tavernier dans Kaamelott, quand Perceval le Gallois tente à tout prix d’apprendre à ses compagnons les règles des jeux du pays de galles, provoquant des situations farfelues, et la frustration de ses partenaires de jeu. J’abats mes cartes sans même savoir si cela est réglementaire, et me faisant reprendre régulièrement, soit parce que je ne « peux pas jouer un atout parce-qu’il me reste un carreau en main », soit parce que mes actions sont illogiques et risquent de mener mon équipe à la défaite. Thierry, aussi étranger que moi aux rudiments du tarot, me regarde du coin de la table, hilare, mais tout aussi perdu que moi pour ce qui est de comprendre ce qu’il se passe sous nos yeux.
Mon énergie et ma motivation, ainsi que celle de mes compagnons, décroissent au fil des parties. Il est donc plus que temps d’aller retrouver les bras de Morphée, une longue marche nous attend le lendemain. Le peu d’entre-nous qui étaient encore éveillés allons donc nous coucher. Direction le Markstein. Non-pas la station de ski, mais bien la chambre qui nous est réservée et qui est affublée de ce nom.
Au réveil, les mines sont légèrement déconfites ; la pluie et la grisaille sont toujours présents, et il nous semble même que tout cela s’est accentué pendant notre sommeil… Tant pis, nous décollerons pour 9h00, comme ça nous aurons un peu plus de temps pour profiter du petit-déjeuner et de la chaleur physique et humaine que nous offre le refuge.
Nous partons donc ce jour du Col de la Schlucht, à un petit kilomètre du refuge, direction le Sentier des Hirschteine (les pierres de cerf en allemand, merci Google Translate).
Le col de la Schlucht (prononcer Chlourte, et non-pas Chluchte) : un nom barbare, pour une météo qui l’était toute autant. Ce nom m’inspirait littéralement la purée de pois qui submergeait totalement le paysage tout entier. La Schlucht… Ce nom à faire saigner les oreilles d’un sourd, se prête bien phonétiquement à l’épaisseur poisseuse de cette brume… C’est décidé, pour moi, la Schlucht, ce n’est plus ce col du massif des Vosges. C’est désormais le nom du brouillard blanc qui y règne en maître absolu, terrible et implacable…
Sur le sentier des Hirschteine donc, nous nous lançons tant bien que mal, malgré l’omniprésente humidité, prêts à affronter les glissades, la boue, les averses, les dénivelés secs, les lacets et les descentes abruptes. Chacun y va de son équipement pour se préserver de la trempette : protèges-sacs en toile, imperméables, capuches… Pour ma part, ce sera le style fashion : un poncho XL, une valeur sure, bien que, s’il est mal boutonné, la prise au vent (qui est omniprésent également, l’avais-je mentionné ?) est telle qu’il aura vite fait de se destiner à devenir un parachute à un moment ou l’autre de cette randonnée...
Les mains courantes ponctuent régulièrement ce sentier puisqu’il donne d’un côté sur des flancs vertigineux, si ce ne sont pas des falaises rocheuses verticales. En parlant de roches, et après avoir traversé une première section forestière, nous arrivons très vite au travers de fissures rocheuses. Au dessus de nos têtes, des rochers qui tiennent en équilibre, probablement depuis des décennies, et pourtant, un certain frisson a tendance à nous parcourir lorsque nous passons sous ces « rochers de Damoclès », les pensées irrationnelles traversant probablement certains d’entre- nous : « Okay, ça fait des années que ça tient comme ça. Mais si soudainement la malchance me frappait ? ». Avec du recul,je pense qu’on a probablement plus de chances de gagner au loto, que de se retrouver aplati par l’un de ces cailloux...
Nous entamons un passage à travers une fissure rocheuse, descendons un court escalier en fer, regrimpons un escalier cette fois-ci taillé grossièrement dans la roche. La pluie et l’humidité ne cessent de nous harceler, rendant forcément certains passages plus complexes, la glissade menaçant en permanence nos pas réfléchis. Au loin, la purée de pois laisse brièvement entrevoir quelques paysages de la réserve naturelle du Frankenthal-Missheimle. Mais soyons honnêtes, il nous est impossible de discerner la beauté que cet horizon peut potentiellement nous offrir. Je trouve dans ce paysage un certain charme tout de même. Un côté Irlandais, avec ses virga nuageuses qui touchent les vallons, et tombent littéralement du ciel. Il s’agit là d’une vision dépaysante quoi qu’on en dise.
Nous croisons nos compagnons de refuge belges en sens inverse, et partons en direction des escaliers des Hirschteine, partie réputée de cette marche, puisque ceux-ci sont très raides et permettent de descendre un dénivelé de plus de 20 mètres à vue de nez, en l’espace de quelques dizaines de marches.
Un point de vue très original s’offre à nos yeux embrumés (dans tous les sens du terme) : dos au mur rocheux, nous faisons en même temps face à une arête formée d’un coin versant des murs rocheux. On a beau essayer de regarder vers le bas, impossible d’apercevoir un quelconque contrebas, à fortiori quand l’humidité brouille toute vision à une certaine distance. Quoi qu’il en soit, l’endroit est unique.
Nous choisissons à partir de là de rebrousser chemin pour atteindre un point plus proche des crêtes dans une zone plus proche du Tanet.
Quelques lacets, forêts enchantées et mousseuses, belvédères, et kilomètres plus tard, nous atteignons une auberge. La bien-nommée Auberge du Tanet. Enfin nous allons pouvoir nous abriter, peut-être même manger ! Mais manque de chance, l’auberge est pleine à craquer, et l’abri offert par la terrasse de l’édifice ne peut nous être octroyé pour engloutir nos gamelles… Au moins nous pouvons utiliser les toilettes. La terrasse nous offre tout de même un peu de répit, ainsi que de l’espoir : le balcon qu’il constitue sur la vallée qui nous fait face, nous permet de profiter entre deux nuages, de rayons de soleil réchauffants, et l’espoir que le beau temps vienne à nous dans l’après-midi. Nous continuons donc à marcher vers le Lac Vert, motivés par une faible, mais non-moins motivante percée du soleil. A peine arrivés sur ce lac, il est temps après l’espoir, de faire un constat : ce temps à faire déprimer un clown, ne nous lâchera jamais… Et dans une moindre mesure, le Lac Vert est gris.
C’est donc la mine contrite que chacun de nous tente de trouver une place à peu près épargnée par l’eau, sous les arbres et sapins à moitié décharnés pour certains. L’objectif n’est pas d’être à l’abri des gouttes. C’est d’en recevoir le moins possible sur le crâne.
Le groupe éparpillé entame donc son déjeuner sous la pluie, et les fesses humides. Diantre qu’il est même difficile de se désaltérer. Le simple fait de penser à l’eau en est déprimant, à quoi bon humidifier son estomac, quand tout le reste du corps à l’extérieur l’est déjà complètement…
L’heure du départ sonne, et qu’il est difficile de redécoller après ce repos. Mais cette météo catastrophique n’entame en rien notre enthousiasme (enfin, cela n’engage que moi après-tout). Nous reprenons les sentiers forestiers pour reprendre de la hauteur et pouvoir rejoindre les crêtes du Tanet qui constitue l’une des parties du GR5. La forêt est mousseuse et verdoyante, quel plaisir ! Notre chemin se ponctue de quelques pauses culturelles pendant lesquelles Alain nous fait part d’anecdotes sur l’histoire de ce lieu.
Nous croisons, au détour de certains chemins, ces bornes en granit, marquées d’un F d’un côté, et d’un D de l’autre, symboles d’une époque où les territoires se disputaient, et changeaient. C’est après la victoire des Allemands en 1870, et l’annexion de l’Alsace, que ces derniers ont placé ces bornes à intervalles réguliers. Celles-ci sont gravées d’un F d’un côté, pour « Frankreich », et d’un D de l’autre, pour « Deutschland ». Nous remarquons que la lettre de D de certaines bornes ont été martelées, signe de représailles de Français après la première guerre mondiale. En tout cas, nombre de casques à pointes ont dû parader dans ce coin il fut un temps…
Tout en remontant, nous atteignons les crêtes, marquées par un tapis vert entrecoupé de roches parsemées. La vue se dégage, et laisse entrevoir les falaises rocheuses verticales des Hautes-Vosges, et la vallée du Munster.
Nous parcourons le sentier rocheux tracé, tout en évitant de s’en éloigner, le Gazon du Faing nous entourant étant une zone protégée pour sa préservation. De là, nous décidons d’entamer notre retour en s’enfonçant de nouveau dans les zones forestières, tout en redescendant en direction de la Schlucht. Le Col cette fois bien entendu, pas la brume que j’ai pris la liberté de rebaptiser. Et qui est toujours présente au demeurant.
Arrivés à un croisement de sentiers forestiers plus en aval, nos comparses aperçoivent un panneau d’orientation indiquant « Le Grand Wurzelstein – 05 min ». « Wurzelstein », encore un terme imprononçable pour les non-germanophones, et maintes fois écorché, au grand dam d’Alain. Certains diront donc « Wurstelstein » (que l’on pourrait traduire par « Pierre de saucisse »), d’autres « Wurtenstein », bref, c’est un véritable festival linguistique.
Alors que nous fumes deux à rester en arrière, le temps pour moi de soulager un besoin urgent dans un bosquet non-loin de là (pas besoin de faire de dessin), le reste du groupe s’enquérait de suivre l’itinéraire vers le Grand Wurtelzein (non, toujours pas), itinéraire qui, d’après le panneau d’orientation fléché, était donc à quelques 5 minutes de là. Mais au bout de 10 minutes, nous vîmes Alain, esseulé, revenir sur ses pas. Celui-ci nous explique alors, avec un flegme hilarant, que le groupe l’ayant distancé 50 mètres devant, n’a point vu la route qui permet d’aller au Grand Wurelzheim (j’abandonne), et a continué tout droit, dans une direction inconnue. Nous imaginons donc nos compagnons errer sans fin, comptant sur leur lucidité lorsqu’au bout de 20 minutes de marche, ils finiront bien par se rendre compte que les 5 minutes annoncées initialement paraissent drôlement longues. Pari gagné. Nous les apercevons 20 minutes plus tard au bout du chemin qu’ils avaient pris auparavant, la mine déconfite, déçus de ne pas avoir pu admirer le Grand Wunderbach (pas si magnifique que cela donc). Tant pis, les voitures ne sont plus très loin, rejoignons-les.
Retour salvateur ! Revenus à notre point de départ, au Col de la Schlucht, nous reprenons nos véhicules pour retourner sereinement au refuge, avec la perspective de pouvoir se sécher, et de profiter de la chaleur, ainsi que d’un goûter bien mérité ! Tartes aux myrtilles, pain d’épice, vin chaud, café et atmosphère sèche, tout le monde se retrouve autour d’une table, profitant de cette quiétude. Doux confort, rires, boustifaille, et… éclaircie céleste... Oui, à peine avions nous mis le pied au refuge après tant d’averses, que le soleil choisit finalement de pointer le bout de son nez. Pour ainsi dire, la météo a bien décidé de nous narguer ce samedi.
Enfin tant pis, maintenant, nous pouvons nous prélasser. L’heure des douches pour certains, d’étendage de vêtements, de discussions de la vie pour d’autres, d’anecdotes incongrues et vagales (pour ceux qui savent) pour ma part, la récréation et la détente sont au rendez-vous.
Au menu ce soir : tartiflette accompagnée d’une salade, histoire de compenser les lipides, et gâteau au chocolat en dessert, pour décompenser les lipides déjà compensées. Ce repas, à la hauteur des efforts de la journée, nous ravit !
Après l’incontournable heure de digestion, rebelotte pour ce soir. Ou plutôt devrais-je dire « retarot »… Mes compagnons « Percevalesques » s’égosillent de nouveau à me faire comprendre les maudites règles tarabiscotées de ce jeu infernal. Mon esprit est plus ouvert cependant, et j’adopte des réflexes qui tendent à surprendre positivement mes comparses. J’ai tout de même retenu certaines bribes. En réalité, je pense que je n’ai toujours rien compris, mais mon côté improvisateur m’aide à faire illusion, au moins histoire de sauver le peu de dignité qu’il me reste à ce stade. Puis vient le jeu des Loups-Garous de Tiercelieux, inspirés par nos tumultueux voisins de tablée belges, visiblement exaltés par leurs parties du même jeu, tant leurs réactions sont… audibles dans tout le refuge. Problème, nous n’avons pas toutes les cartes nécessaires, ni-même les règles à notre disposition. Tant pis, au diable les règles, nous les inventerons. Oui, mais… ce n’est pas si simple. Nos règles s’avèrent peu équilibrées et donnent l’avantage aux Loups-Garous. Mais qu’importe le flacon, tant qu’il y’a l’ivresse. Ici, c’est ivres de rire que nous passons cette soirée ensemble, avant d’aller retrouver nos couchettes douillettes.
Au petit matin de ce dimanche, dernier jour d’excursion, nous nous réveillâmes, dans un premier temps mollement. Mais à peine avions nous eu le temps d’ouvrir nos yeux lourds et plissés, qu’un vacarme assourdissant rompu la quiétude générale, et brisait toute conversation ou bruit de fond qui régnait jusqu’alors. Un silence de mort se fit entendre l’espace de quelques secondes, jusqu’à ce qu’émerge un bégayant « I’M FINE, I’M FINE ! ». Grand ouf de soulagement. Il me semblait bien avoir entendu ce vacarme précédé d’un inquiétant « Oh shit !!! ». Tout le monde fut frappé de stupéfaction. Il semblait bien qu’une personne venait de dévaler les escaliers du refuge. Le son émis par cette cascade holywoodienne pouvait très largement laisser penser que quelques os auraient bien pu se briser tellement le boucan fut assourdissant.
Il s’avère que, comme nous l’a narré Angela plus tard l’après-midi même, une touriste anglophone avait donc peut-être estimé que la randonnée ou l’escalade qu’elle s’apprêtait à faire ce jour-là n’étaient pas assez dangereux à son goût, et qu’elle décidait de rouler-bouler dans l’escalier de bon coeur. Angela nous a expliqué avoir rattrapé de justesse la malchanceuse alors qu’elle se trouvait elle-même en bas des escaliers, avant que la malheureuse acrobate improvisée ne puisse terminer sa folle course dans le mur qui concluait la descente. Plus de peur que de mal, ou plutôt, plus de bruit que de mal. Beaucoup plus de bruit que de mal même. C’est tout de même le comble en y repensant. Que de dangers dans la zone explorée, de ravins, de falaises, de hauteurs vertigineuses, d’humidité glissante des rochers, pour que notre pauvre touriste finisse par s’écchymoser dans un escalier tout ce qu’il y’a de plus banal...
Bref, le temps de se remettre de ces émotions, ce qui fut probablement autrement plus simple pour nous que pour cette dame, nous étions en route vers la partie sud du secteur, en direction du Hohneck. Cette fois-ci, les choses sérieuses commencent, Sentier des Roches, nous voilà ! Et cette fois, c’est accompagnés du soleil que nous marcherons. La motivation est à son paroxysme.
Entre deux arbres, ce sentier des roches offrait quelques points de vue des plus splendides sur la vallée du Munster, se muant en un balcon idéal pour quelques arrêts repos et photo bien choisis. Dans les vals, les Vosgiennes, reconnaissable par une bande blanche caractéristique qui traverse leur échine, pâturaient tranquillement, en vue de pouvoir nous offrir un excellent fromage de Munster pour les prochaines saisons.
Nous étions cependant avertis d’entrée de jeu ; avant même de mettre un pied sur le premier morceau de roche venu, un panneau indiquait factuellement que ce sentier était réservé aux randonneurs les plus aguerris. C’est là qu’intérieurement, Alain a dû se dire « pourvu qu’ils le soient tous, aguerris »... Ce n’est probablement pas pour rien d’ailleurs que ce parcours est interdit entre novembre et avril. On a beau être bien équipés, et entraînés, ce sentier réserve quelques passages, escaliers de pierre et nombre de mains courantes où la concentration est de mise. Un faux mouvement, une glissade incontrôlée, et c’est un ravin haut de plusieurs dizaines, voire centaines de mètres qui conclurait le moindre écart. Autant dire que même par beau temps ce jour, les pluies des jours précédents se font sentir tellement les roches au sol étaient glissantes. Il était donc de rigueur d’éviter les grosses roches lisses, et plutôt de privilégier celles présentant des aspérités pour espérer une meilleure adhérence de nos semelles.
Nous partions donc sur le sentier, commençant d’abord par une petite descente tranquille sur un chemin de terre avant d’atteindre rapidement les flancs verticaux longés par le sentier cette fois-ci rocailleux très peu large et escarpé. Nous voilà donc sur le versant Alsaciens de la crête des Vosges.
Notre marche est entrecoupée de passage variés, ponctuée par bon nombre de mains courantes, de pontons en bois ou en métal, de lacets contournant les falaises abruptes, d’escaliers taillés dans le granit, mais a pour dénominateur commun le vide. Un vide continu et vertigineux à en faire défriser un chauve. Mais rien qui ne puisse émousser notre entrain tant l’endroit est grandiose, pictural, enchanteur. La vue y est magnifique du début à la fin, et les couleurs minérales fusionnent à la perfection avec la verdure des arbres, rendant la balade unique et faisant presque oublier son caractère technique et physique.
« Presque » oublier, puisque comme on le sait en randonnée, la beauté du paysage ne doit pas nous faire oublier notre concentration ; alors que chacun y allait de sa dextérité et jouait de son équilibre fragile, Sabine glissa accidentellement sur une roche, poussant un cri spontané et sec, nous faisant immédiatement redouter le pire. Le groupe dispersé sur plusieurs dizaines de mètres de distance, nous dûmes crier vers la tête du
groupe pour stopper nette la marche, et laisser le temps à Sabine de se remettre de ses émotions. Sabine nous fit signe qu’elle s’était fait mal à l’épaule en tombant, mais rien de bien grave, fort heureusement.
Le temps de traverser une courte cavité formée à même la roche, nous entamons une descente en lacets, zigzagant entre les conifères, traversant une source d’eau coulant le long des roches mousseuses, pour finalement rejoindre un magnifique vallon du Frankenthal qui revêt un charme des plus paradisiaques, et je ne mâche pas mes mots.
A mi-chemin entre l’horizon verdoyant du fond d’écran par défaut de Windows 95, et la beauté colorée et fleurie de la Petite Maison dans la prairie, cet endroit nous offre le cadre idéal pour une pause déjeuner bien méritée. Un grand rocher bien placé offre suffisamment de place pour chacun d’entre-nous, et servira de « tablée » pour reprendre nos forces.
Une fois cette pause salvatrice finie, nous reprenons notre route, direction le Hohneck, point culminant du département des Vosges !
Nous nous dirigeons vers les hauteurs, histoire de faire un petit détour par un point de vue d’une altitude moyenne, et nous retrouvons au sommet de ce qui semble être une colline, comparé aux massifs qui nous entourent. Pour ce faire, nous empruntons un chemin rocailleux exclusivement constitué de lacets sec, agrémenté d’un dénivelé très raide. Malheureusement, Alain commence rapidement à montrer des signes de douleur. Son genou est endolori et je lis sur son visage des grimaces qu’il tente discrètement d’amoindrir pour ne pas trop nous alarmer. Nous décidons donc de ralentir le pas pour ménager ses ligaments et ses os. Après tout, notre guide du week- end fait preuve d’une témérité sans pareil, et il nous est plus que précieux dans notre merveilleux périple.
Une fois arrivés sur la pointe de ce sommet, un court repos est de mise. Le sommet est couronné de pierres. On a plus le sentiment de se trouver au centre d’un dolmen qu’autre chose. Deux badauds qui se prélassaient dans le coin se font entendre. Deux personnalités du moins extravagantes, profitant de la tranquillité et l’isolement du coin, et qui se payaient le luxe de siroter un café préparé avec une machine spécialement amenée pour l’occasion. L’odeur de café réveille en certains d’entre nous une envie irrépressible de boire ce délicieux élixir qui nous a manqué à l’heure du déjeuner.
Nous rebroussons chemin, en descente donc cette fois-ci, direction le Col du Schaeferthal (merci encore une fois Google Maps de m’avoir permis de retrouver le nom du lieu-dit). Depuis ce col, nous pouvons nous octroyer une vue plongeante sur le lac du Schiessrothried (merci Goog… Enfin, vous avez compris…). Ce lac, contrairement à ses apparences, n’est pas d’origine naturelle, puisqu’il est délimité par un barrage de retenue, permettant à l’eau affluente de se concentrer dans ce qui fut autrefois une tourbière.
Le plan de départ consistait à descendre vers ce lac avant de rejoindre le Hohneck, mais la raison nous pousse à ménager Alain, et à entamer directement l’ascension vers ce dernier. En quelques centaines de mètres d’ascension, nous atteignons dans un premier temps le petit Hohneck, où, par pur esprit enfantin, je profite de la pause en cours pour dresser un cairn avec les nombreuses roches à ma disposition aux alentours. Petit moment de retour en enfance pour moi, l’enfant qui est en moi ressurgit très (trop?) souvent. Mais l’activité toujours aussi ludique pour un esprit mature, est divertissante pour mes compagnons et moi.
Une fois arrivés en haut du sommet du Hohneck, c’est la libération. Nous sommes au sommet des Vosges, et pouvons désormais contempler un horizon infini à 360 °. Il est temps de se diriger vers l’habituelle table d’orientation, d’où nous pouvons nous situer, et imaginer de manière plus précise le monde qui nous entoure.
La zone est tellement exposée, que, comme tout sommet en altitude, le vent est omniprésent, et j’hésite à sortir mon poncho pour faire un peu de parapente… Mais non, ce ne serait pas raisonnable. Nous allons donc plutôt nous diriger vers l’hôtel-restaurant du sommet du Hohneck pour un petit goûter bien mérité. Café, thé, tartes aux myrtilles pour certains, et bières pour d’autres.
Thierry et Alain, par curiosité et forcément par désir de goûter les spécialités locales, commandent chacun une bière sobrement (ou pas) intitulée « La Hohneck ». Sur le papier, il s’agit d’une bière blanche IPA, mais en appercevant le verre posé en face de Thierry, mon cerveau hésite. Je crois au départ y voir un Ricard… A la première gorgée de Thierry, nous comprenons immédiatement au rictus convulsé de son visage, que le goût n’est pas aux attendus. La bière est amère, imbuvable aux dires de Thierry. En même temps, c’est vrai qu’à y regarder de plus près, la robe est d’un trouble plus que douteux, à mi-chemin entre le jaune vulgaire d’un Ricard à peine dilué, et la densité d’un dépôt sédimentaire digne des étendues les plus vaseuses des bayous de la Louisiane. Miam.
Finalement, ce que l’on préférera dans le Hohneck, ce sont bien ses monts, mais définitivement pas sa bière locale… qui au passage n’a pas de vertus guérissantes pour le genou d’Alain… Dommage, il fallait bien essayer tout de même.
Une fois repartis, nous reprenons notre route, dernière ligne droite pour retrouver nos véhicules respectifs, et prenons la direction de notre point de départ initial, en redescendant par le col de Falimont.
Le temps de poser nos sacs, et distancés par Alain, pourtant handicapé par son genou retors, nous en profitions pour scruter les alentours, et à cet endroit, l’horizon était lointain, il y avait de quoi contempler. Puis, en regardant plus en contrebas, nous vîmes ce cher Alain nous faire signe de descendre le rejoindre. Aurait-il trouvé un raccourci, un chemin secondaire qui lui permettrait de ménager sa jambe ? Pourtant l’endroit semble encore plus escarpé, et les sentiers se font de plus en plus flou, d’autant que le dénivelé à cet endroit devait bien friser les 50 degrés à certains endroits. Mais au diable la prudence, l’effort et le désir d’explorer des recoins reclus poussait certains d’entre-nous à le suivre.
Alain nous a dégoté un spot d’escalade bien caché, et d’un admirable cachet, accessible par une voie non tracée et qui rend l’endroit captivant. Nous nous retrouvons devant ces roches hautes d’une bonne vingtaine de mètre de hauteur pour les plus grands.
Elise G., fraîchement arrivée au club d’escalade l’année dernière, regardait avec attention les différentes voies, les analysant dans les moindres détails, visualisant très certainement mentalement, sa propre escalade sur ces murs de roche au dessin escarpé et hasardeux.
Le temps de descendre dans un recoin difficile d’accès pour examiner quelques voies d’escalade bien cachées plus en contrebas, nous finissons par tomber sur deux grimpeurs suréquipés - le bonhomme comptait un nombre incalculable de mousquetons et dégaines autour de son baudrier, à tel point qu’on pourrait le confondre avec Passe-Partout avec sa collection de clés - s’apprêtant à tenter une voie relativement simple (dixit celui qui ne pratique pas ce sport...). Alain, dans toute sa sagesse et son expérience, distille ses conseils avisés au grimpeur. Celui-ci répondit dans un langage qui de prime abord paru inhabituel. Quelle ne fut pas notre surprise d’entendre un accent bien familier. Il s’agissait là d’un compère québécois.
J’aurais aimé vous narrer ses paroles, mais ma mémoire me fait défaut. Ou plutôt, mon oreille me fit défaut sur le coup. Impossible de comprendre un traître mot de ce qu’il babilla. En tout cas, pas de « Ostie d’câlice tabernac’ », même si j’aurais aimé l’entendre par pur désir de satisfaction. Celle qui officiait à l’assurage n’était autre qu’une alsacienne. Quel duo improbable !
La parenthèse escalade était là notre dernier point d’intérêt, et il était désormais temps de se dire au revoir aux abords du parking que nous avions fini par retrouver après cette journée ensoleillée grisante. Ensoleillée, jusqu’au moment de revenir, puisque les Vosges, certainement tristes de nous voir sur le départ, avaient recouvert ses contrées d’une nouvelle désolante grisaille.
Il n’est de bonne compagnie qui ne se quitte, mais ce n’est qu’un au revoir, chers compagnons, et ce week-end fut revigorant et grisant, et c’est en grande partie grâce à votre présence à tous. A la revoyure !
Postface : Jean-Michel, reste enjoué, nous le ferons ce Lac des Truites. Nous nous y retrouverons un jour, j’en suis convaincu !
Yannick P.





























